Souvenirs

 

Mon enfance, à CHARRAS.

 

            En 1920, j'avais huit ans. Nous habitions MAINZAC. Mes parents ayant pris le restaurant place du château, je suis devenu charrassou…

  

            Le château, quel contraste avec les vieilles maisons de MAINZAC. Le propriétaire était le comte de Beynac, marié à une anglaise très riche. Elle vivait en permanence au château ; lui, faisait le va et vient avec PARIS.

 

        Qu'il était beau le château ! Partout des fleurs, les terrasses, de la verdure partout, des palmiers dans la cour d'honneur, le grand parc entretenu par deux jardiniers et une dizaine de journaliers.

 

            Il y avait aussi une meute de 60 gros chiens marqués au fer d'un grand "B", trois piqueurs pour s'en occuper : Monsieur Labranche, son fils Hubert et Monsieur Laversudre. La meute ne mangeait qu'une fois par jour, à 16 heures, réunie autour de grands baquets. Les piqueurs donnaient le signal en abaissant leur fouet.

 

          Monsieur Ducher, boulanger aux GRAULGES, apportait du pain toutes les semaines ainsi que Monsieur Marty, équarrisseur à MAREUIL-SUR-BELLE, de la viande pour nourrir la meute.

 

           Au château, beaucoup de gens de maison : deux femmes de chambre, une cuisinière, un cocher qui portait une grande cape noire et le chapeau haut de forme lorsqu'il conduisait le carrosse. Il allait souvent à la gare de ROUGNAC.

 

         Les jours de grande chasse, beaucoup d'invités, de chevaux, de cavaliers en livrée. Les sonneries de cor marquaient le départ de la meute ; les habitants de CHARRAS étaient ravis du spectacle.

 

            Le soir, c'était la curée. Devant le château, tous les habitants étaient là. Si c'était un chevreuil, on lui rendait les honneurs pour son courage, on ne le tirait pas, les chiens le poursuivaient jusqu'à l'épuisement. Pour le sanglier, les piqueurs découpaient la tête tout en laissant la plus grosse partie pour les chiens, toujours au signal du fouet et du cor. En quelques secondes, il ne restait plus rien, c'était la curée.

 

            Nous étions quatre garçons dans le bourg à deux ans près, tous du même âge. Il y avait Albert Loubiat, son père était menuisier et sacristain, il habitait où habite Monsieur Landry ; Camille Chesson, sa mère était veuve de guerre et habitait à côté de là où habite actuellement Lucien Tamisier ; Aimé Hardemann était élevé par sa grand-mère Marceline, servante de Monsieur Giboin, célibataire qui tenait l'épicerie où est Corinne Chantareau. Il portait le bouc, c'était un colosse qui n'aurait pas fait de mal à une mouche.

 

            Nous étions tous les quatre enfants de chœur. A cette époque là, il y a avait la messe tous les matins à 7 heures. A tour de rôle, nous servions la messe, chacun notre semaine. Pour nous récompenser, le Curé Soumagne, qui était très bon musicien, nous enseignait la musique. A la belle saison, il nous offrait le pique-nique au bord de l'eau à l'Abbaye de Grosbot.

 

            Le jeudi, lorsqu'il faisait beau, notre coin préféré était la garenne, la grande allée entretenue : des bancs, des chênes aux troncs énormes, une voûte de verdure si dense que les rayons du soleil ne perçaient pas, des oiseaux de toutes sortes dont les chants ne finissaient qu'avec le jour. Que de parties de cache-cache, de cabanes construites et aussi d'accrocs aux blouses et aux culottes…

            

L'hiver, nous attendions la neige avec impatience, la messe de minuit dans notre belle église pleine à craquer, Minuit  Chrétien chanté par toute l'assistance avec l'accompagnement d'une dizaine de musiciens. Les habitants du village venaient avec des lanternes. Il n'y avait pas de routes, c'était des chemins avec des ornières très profondes.

 

            L'été, tout le monde sortait prendre le frais au bord de la route et la bonne humeur était souvent de rigueur avec Augustin Delugein, pince sans rire, son fils Alphonse, nous l'avions surnommé "papillon" en raison de son talent de valseur, la vedette, c'était l'homme à la Chenard, le Père Nadaud qui habitait où est René Bardoulat. Il avait une Chenard et Walcker, voiture qui à cette époque roulait à 120 km à l'heure. Il n'avait jamais pu avoir son permis, c'était mieux ainsi.

 

         Le coin a bien changé. Je souhaite aux jeunes générations de retrouver cette nature si belle et cette joie de vivre qui était la nôtre.

 

                                                 Robert COLOMBESKI.

 


Hier, à CHARRAS…        

 

              Il est assez difficile, en l'absence d'éléments précis, de reconstituer le passé lointain d'un village. Mais de plus en plus, à l'occasion de travaux de terrassement, des restes de murs d'enceinte, de fours, des preuves d'habitats sont mis au jour.

 

          Parlons plus particulièrement de CHARRAS. Son église, élément important et témoin immuable à travers les siècles, a vu autour d'elle bien des changements.

 

               A sa construction vers le XIème siècle, elle dépendait de l'abbaye de Grosbot, dominant le paysage côté est, alors que les bois occupaient de vastes zones plus étendues que maintenant.

 

              Autour, on pourrait trouver quelques murs, restes de fortifications et un cimetière qui a précédé celui que nous connaissons ; il se trouvait à peu près dans le prolongement du monument aux morts actuel.

             

              Jusqu'en 1880, la route ANGOULEME‑MAREUIL qui traverse CHARRAS n'existant pas, des ruelles entouraient des pâtés de maisons sans plan trop précis.

 

              Dans le sens nord‑sud, la principale passait devant l'église ; divers bâtiments et maisons bourgeoises entouraient la place : les plus anciennes furent détruites, la dernière en 1920. Elle appartenait à Monsieur LEGER dit Le Bon. Sa feuille d'imposition le taxe, en 1857, pour 14 portes et fenêtres plus un forfait pour le 3ème étage et deux maisons à deux ouvertures.

 

       Comme il était assez fréquent à l'époque de sa construction, le puits se trouvait dans la cave, bien à l'abri. Coutume qui venait des guerres. Il était important que l'eau ne soit pas polluée ni empoisonnée.

 

         En face du monument aux morts, plusieurs maisons bordées par deux rues rejoignaient celle de MARTHON à ROUGNAC. A l'angle de l'une d'elle, était l'épicerie qui a précédé celles qui se sont installées près de la nouvelle route.

 

             En effet, dans ce temps là, la voie principale est‑ouest était celle qui, partant de la fontaine publique directement par la petite rue devenue sens unique, allait sans croisement vers Le Clédou et ROUGNAC. La rue de la Poste, bien élargie depuis, n'était qu'un chemin secondaire.

 

            Pas de grand changement jusqu'en 1887. A cette date, quand les élus communaux d'alors envisagèrent de percer une voie facilitant la traversée du bourg et qui devint la "grande rue" que nous connaissons, tout fut bouleversé, bien que sa réalisation ne fut pas acceptée sans discussions longues et difficiles avec les habitants concernés par son tracé. Elle séparait plusieurs maisons de leurs jardins et dépendances ; il est encore facile de s'en rendre compte avec la maison devenue H.L.M. ou le presbytère. Ils ont leur belle façade et l'entrée principale côté église. Au sud, leurs jardins sont séparés par la route, même leurs puits. Celui‑ci était la seule possibilité d'avoir de l'eau. Si l'électricité a éclairé les maisons en 1928, il a fallu attendre bien plus tard pour avoir l'eau sous pression...

 

              L'un d'eux est encore visible, un autre resta longtemps en service dans un passage entre l'ancienne épicerie qui a brûlé, à droite, et le jardinet, à gauche. Il dépendait de la maison LACATON située, elle aussi, de l'autre côté de la route. Il y eut par la suite la cuve d'un poste à essence.

 

              Quand il y eut ainsi la possibilité d'étendre le bourg sur une zone moins abrupte, des maisons se sont construites de chaque côté de cette rue, un nouveau centre s'est constitué, tout le commerce s'y est retrouvé : deux forgerons, deux menuisiers, deux épiceries, deux boulangers, un marchand de vin en gros, une auberge !

 

              Deux fermes sont cependant restées avec leurs bœufs de labour, leurs vaches laitières... Après les moissons, la batteuse s'installait devant l'une d'elles sur une petite place, au bord de la route. Quand toutes les gerbes apportées par chaque cultivateur avaient laissé tomber dans les sacs du bon grain, la grosse machine repartait pour un autre village.

 

              Aux foires qui avaient lieu le deuxième dimanche de chaque mois, les forains qui vendaient ou achetaient la laine des moutons, offraient des tissus... avaient leurs aises sans gêner le passage. Maintenant, marchands et animaux ont laissé la place à la circulation automobile.

 

              Depuis 1945, c'est encore une autre époque qui s'est installée. Pour retrouver un peu l'aspect de l'ancien CHARRAS dominé par le vaisseau de son église, il faut aller le voir sur la route MARTHON-BEAUSSAC, en cherchant le meilleur angle pour que l'œil capte l'ensemble.

 

  

                                         Geneviève THIROUIN

 

Le repas de midi, à l'école.

 

            De La Plaigne à CHARRAS, j'allais à l'école primaire avec les copains, à pied, en passant par les petits sentiers à travers champs, par tous les temps.

 

            L'hiver, nous avions souvent très froid car nous étions en culottes courtes. En arrivant à l'école, il fallait allumer le poêle qui chauffait très peu la classe. Nous avions souvent froid aux doigts et aux pieds en classe, ce qui n'empêchait le maître d'être sévère avec nous.

 

            A midi, nous n'avions pas de cantine, seulement un potage préparé par le maître. Lors de mes premières années scolaires, chaque élève apportait un légume pour confectionner la soupe, soit des pommes de terre, des poireaux, des carottes, des navets… Ensuite, le maître, après préparation, mettait les légumes à cuire dans un "faitout" où la soupe cuisait pour midi sur le poêle qu'il ne fallait pas oublier d'alimenter en bois. Chacun d'entre-nous avait une louche de bouillon dans sa petite gamelle dans laquelle nos parents avaient mis de petits morceaux de pain, un petit peu de graisse et du sel. Nos petits estomacs criaient souvent famine.

 

            Ensuite nous mangions un morceau de pain avec du chocolat ou du fromage, ou encore une sardine à l'huile. Nous étions assis autour d'une table située près du poêle, au fond de la classe.

 

            Tout en reconnaissant qu'à l'époque notre éducation était sévère, nous, les anciens, constatons avec quelques regrets, que l'évolution n'est pas allée toujours dans le bon sens !

 

  

                                               Emile FAYE 


En vrac

 

         Je voudrais par ces quelques lignes vous livrer tout simplement, en vrac, les souvenirs d'enfance d'un fils et petit-fils de métayers de la commune de CHARRAS.

 

                Mon plus pénible, d'avoir vu en juin 1940 flotter le drapeau à croix gammée sur la place du château.

 

                Mes meilleurs, la famille, parents et grands‑parents, mes grands‑mères qui m'adoraient. J'essayais de n'être pas trop méchant envers elles, mes camarades d'école…

 

                Souvenirs de ces longues soirées d'hiver réunis autour de la cheminée alors que le vent du nord passait en sifflant sous la vieille porte de la maison. Je regardais mon arrière-grand-mère qui somnolait déjà.` Mon "Mémé, conte-moi une histoire" avait le don de la réveiller complètement.

 

              Elle me parlait des loups qui étaient présents nombreux dans la région, à la fin du siècle dernier. Lorsqu'un mouton paissait à l'écart, il fallait le ramener avec le troupeau, car c'est sur un isolé que le loup jetait son dévolu. Parfois il y parvenait, alors elle commandait les chiens et entrechoquait ses sabots pour lui faire lâcher prise. Si elle réussissait, l'animal avait souvent de profondes blessures qu'il fallait soigner à la maison avec de la charpie, et du vieux miel pour les cicatriser.

 

           Un jour de foire à NONTRON, mon arrière-grand-père Pierre DELAGE en revenait, à pied évidemment, par LUSSAS et HAUTEFAYE. Dans les bois dits des Fouilloux, entre ce lieu et le village de la Cave, plusieurs loups lui firent, à distance quand même respectable, une compagnie en hurlant et se répondant les uns les autres.

            

            Mon arrière-grand-mère Marie m'avait raconté, mais je pense que c'était une légende, que tous les vendredis (jour de la mort du Christ), les loups ne pouvaient ouvrir la gueule (la loubado, en patois) et n'attaquaient pas les troupeaux ce jour‑là. Elle me parlait aussi des petites fadettes, bons ou mauvais génies, que sont les korrigans et les lutins en d'autres régions.

 

               Un autre souvenir qui avait beaucoup marqué mon enfance, une année, la veille du 11 novembre, avait lieu une veillée mortuaire à l'église, en l'honneur des poilus de 14/18. Mon grand‑père François qui avait fait celle‑ci, m'y avait amené sur le cadre de son vélo. Il y avait un catafalque dans l'allée, recouvert d'un drapeau tricolore sur lequel il y avait un casque de guerre français. De chaque côté de celui‑ci, dans un peu de terre, étaient plantées de petites croix blanches. Il y avait un aumônier militaire pour le sermon et un clairon qui était de MARTHON, je crois, pour la sonnerie aux morts. Il se dégageait de cette cérémonie beaucoup de ferveur (républicaine ou religieuse, je ne sais, les deux peut‑être).

 

 

                                               Pierre ROUGIER.

 


Souvenirs de cinéma, à CHARRAS.

 

              Cela se passait dans les années cinquante. J'étais alors adolescente. Toutes les vacances d'été, je les passais à CHARRAS, ou plus exactement dans ma famille à Séguignac, à la ferme.

 

                  En dehors de ma participation aux travaux en tout genre, les distractions dont je jouissais alors, comme la plupart des jeunes ruraux de ma génération, étaient la radio, la lecture, les fêtes patronales, les battaisons… et le cinéma au château !

 

                  Notre montreur d'images itinérant était Monsieur le Curé de LA ROCHEBEAUCOURT qui offrait à plusieurs communes la chance "d'aller au cinéma". A CHARRAS, cela se passait le mercredi soir.

 

             J'ai encore si précis dans ma mémoire le souvenir de l'attente de ce moment où, ma sœur et moi, après vingt heures, nous enfourchions nos bicyclettes pour nous rendre au château.

 

           Les séances avaient lieu, en effet, dans une salle des communs actuellement transformés en logements. Elle était propre, blanchie à la chaux, et le public s'asseyait sur des bancs.

 

              Le projecteur dont le bruyant ronronnement nous berçait tout au long de la séance, se trouvait dans la salle voisine et, par un trou de fortune taillé dans la porte de communication, laissait échapper son fabuleux faisceau lumineux chargé d'images magiques, pour traverser notre salle et venir s'épanouir sur l'écran…

 

            Nous retrouvions là, venus de tous les horizons socio-professionnels, les passionnés de cinéma ou les curieux qui venaient passer le temps. Nous retrouvions les camarades, lycéens en vacances et jeunes agriculteurs, plusieurs jeunes couples, mais relativement peu de personnes âgées.

 

              Nous nous répartissions sur les bancs, après avoir payé notre écot à Monsieur le curé qui se tenait à une table, à l'entrée. Nous avions, pour ainsi dire, nos places habituelles. Devant, à gauche du faisceau lumineux, Monsieur le curé de CHARRAS (à l'époque, l'Abbé Jaouen) à côté des propriétaires du château Monsieur et Madame Poot. A droite, toute la famille de Ternay qui, au complet, occupait les trois premiers rangs. Madame de Bodart accompagnée de son fils, propriétaire du château de La Bréchinie. Mon oreille indiscrète écoutait parfois leurs bavardages et les derniers potins sur la noblesse, leurs relations communes…

             

            Et puis, tout au fond de la salle, se trouvaient quelques buveurs invétérés bien connus de l'époque, qui avaient fait suivre les canettes de bière et les chopines de "rouge".

 

            Deux personnes manquaient : les instituteurs. Soit parce qu'ils n'étaient pas à CHARRAS le mercredi soir, soit parce qu'il était inconvenable que des instituteurs "laïques" se rendent au "ciné du Curé" !

 

         Monsieur le Curé sélectionnait les meilleurs films de la production cinématographique de l'époque et des années Quarante. Ils s'adressaient à tout public de 7 à 77 ans. Ils étaient drôles ou graves et toujours intéressants avec une fin morale, comme il convenait à l'époque.

 

              Nous avons ainsi eu toute la série des "Don Camillo" avec Fernandel, les meilleurs de Bourvil, la trilogie de Pagnol, quelques "suspenses" de Hitchcock ou des films italiens avec Gina Lolobrigida ou Sophia Loren.

 

          Comme dans le très beau film récent "Cinéma Paradiso", Monsieur le Curé prenait soin de couper quelques séquences un tant soit peu scabreuses, s'il en était. Mais parfois, il avait laissé courir (sans doute parce qu'il le jugeait nécessaire) un baiser dans le plus pur style hollywoodien qui s'éternisait un peu… Alors, du fond de la salle, entre deux tintements de verre, soit qu'il y eut un choc de verre à bouteille ou de verre à verre, une voix, sortie d'un appareil phonatoire nettement bien alcoolisé, disait au voisin : "eh bé, y s'en fait pas !" ou bien une autre voix questionnait : "tu crois qu'y va coucher avec ?" "Tais-toi, bois", répondait le voisin. Nous, nous ricanions de l'incongruité de ces réflexions, néanmoins en colère d'être tirés de cet univers de fiction à contre temps !

 

             C'était tout cela le charme du cinoche à CHARRAS !

 

             La séance terminée, pleins d'images ou d'idées nouvelles qui portaient à rire ou à réfléchir, nous reprenions nos vélos. Tout en commentant le film, nous savourions, sur le chemin du retour, la voûte étoilée de l'été et nous rêvions déjà sur la bande annonce du film de la semaine suivante.

 

 

                                               Marie-Rose BRUN.